Aller plus loin

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Exemple d’une bactérie « nettoyeuse »
La bactérie Polaromonas naphthalenivorans a été découverte en 20033 dans des sédiments bordant le fleuve Hudson aux Etats-Unis et contaminés 40 ans plus tôt par du goudron de houille (sorte de charbon). Ce goudron entre dans la composition de médicaments mais il est cancérogène en raison de ses composants aromatiques polycycliques, comme le naphthalène (ou naphthtaline). Polaromonas naphthalenivorans signifie littéralement « bactérie polaire qui dévore le naphthalène ». Si elle n’est pas strictement polaire, comme d’autres bactéries du genre Polaromonas, cette bactérie est adaptée au froid (elle pousse de 4°C à 25°C) et fut identifiée comme l’agent responsable de la dégradation du naphthalène sur ce site pollué de l’Hudson.
P. naphthalenivorans, comme d’autres bactéries, a donc un potentiel de biorémédiation4: elle possède des gènes qui codent des enzymes permettant de capter le naphthalène présent dans le site pollué, de l’hydrolyser en molécules non toxiques et plus petites comme le pyruvate. Pour comprendre quels gènes et quelles voies métaboliques sont responsables de cette dégradation, le génome de la bactérie P. naphthalenivorans a été séquencé en 2009.

A quelques mètres sous terre dans un sol sain et pauvre en matière organique de nombreuses bactéries sont présentes, dont P. naphthalenivorans. Ces bactéries survivent ou vivent dans ce sol sans prolifération excessive. Lorsqu’une source de carbone organique apparaît brusquement dans le sol, le rythme de vie des bactéries va être bouleversé. Si la source de carbone est du sucre, la plupart des bactéries en profite. Si en revanche il s’agit d’hydrocarbures (pétrole, goudron etc…), la plupart des microorganismes est tuée ou inhibée. Pour P. naphthalenivorans et quelques autres espèces, les hydrocarbures sont une source de carbone au même titre qu’un sucre. Ces espèces-là se « réveillent » au contact des hydrocarbures: elles les détectent et les « mangent ». La nourriture étant abondante sur un site pollué elles vont prolifèrer et prendre le dessus sur les bactéries qui sont inhibées par la pollution.

P. naphthalenivorans forme des cellules rondes de 2 à 4 microns, (photo ci-dessus en contraste de phase). Elle est non motile et pousse lentement : 6 heures de temps de génération à 23°C ; mais, si la température baisse, le temps de génération augmente. Comment expliquer alors qu’elle soit retrouvée comme espèce dominante sur de nombreux sites pollués aux hydrocarbures ?

Polaromonas naphthalenivorans au laboratoire
Au laboratoire, où nous étudions P. naphthalenivorans pour une particularité concernant son génome, nous avons observé ce type de « réveil » cellulaire. Pour cela, nous avons laissé des cellules de P. naphthalenivorans pendant deux mois sur un milieu assez sec et pauvre en nutriments. A l’ issue des deux mois nous avons déposé les bactéries, survivantes ou mortes, sur un milieu nutritif frais avec du sucre et nous les avons observées au microscope toutes les heures (ci-dessous).

Juste à l’issue des deux mois de carence (TO) on observe trois cellules noires. Après une heure (1h) sur milieu frais, l’une des trois cellules s’est « réveillée ». Le premier signe visible du réveil est la formation d’un granule qui apparaît comme une tache blanche dans la cellule : c’est une réserve de matière carbonée. Le granule et la cellule grossissent puis se divisent (6h à 8h): la prolifération est enclenchée. Les deux autres cellules n’ont pas évolué ; elles sont mortes ou sur le point de mourir.

P. naphthalenivorans ne se contente donc pas de « manger » les nutriments pour faire de l’énergie, grandir et se multiplier ; il en transforme aussi une partie sous forme de granule de réserve. Nous avons observé de très nombreuses cellules à l’issue de la carence : toutes celles qui repartent commencent par former ce granule, comme si cette réserve était une garantie sur l’avenir indispensable pour que la cellule s’engage dans le cycle prolifératif.

Sur cette photo nous voyons 3 cellules de P. naphthalenivorans, dont deux en division. A l’intérieur de la cellule on distingue les granules de réserve en blanc, et le génome (c’est-à-dire tout l’ADN), qui apparaît en bleu fluorescent par coloration au DAPI.

Références bibliographiques :
1 Le Microbiote est l’ensemble des micro-organismes (bactéries, champignons, protistes) cohabitant dans un même site, une même niche écologique etc…
2 La Biomasse est la masse de matière organique que représentent les êtres vivants (biomasse bactérienne, humaine, végétale etc…). 
 référence: Y-M.Bar-On , R. Phillips and R. Milo (2018) The biomass distribution on Earth, PNASlien wikipedia
3 Découverte P. naphthalenivorans: C.O Jeon et al, (2003) Discovery of a bacterium, with distinctive dioxygenase, that is responsible for in situ biodegradation in contaminated sediment, PNAS
4 La Biorémédiation est la détoxification par des organismes vivants d’un polluant présent dans un milieu